Une maison d’édition hors du commun au Venezuela.
Menace inhabituelle et extraordinaire : interview exclusive d’une maison d’édition vénézuélienne
El perro y la rana c’est le nom que porte la maison d’édition publique vénézuélienne qui a distribué plus de 20 millions de livres sur l’ensemble du territoire national. Pire encore, puisqu’elle menace de continuer à publier encore plus d’ouvrages en accompagnant de jeunes écrivains issus de tous horizons sociaux.
Cette maison a vu le jour en 2006, elle s’attache à garantir le droit à la lecture et à l’écriture de tous les vénézuéliens en s’appuyant sur une politique d’inclusion. El perro y la rana présente cette année 34 nouvelles publications à la 13e Féria Internationale du Livre Vénézuélien (Filven).
La présidente de El Perro y La Rana, Giordana Garcia, nous a fait l’honneur de répondre aux questions de VTactual, elle évoque le succès de la première maison d’édition publique vénézuélienne.
Dans le cadre d’une démocratisation de la lecture qui a marqué le pays tout entier, quelle est, selon vous, la plus importante réussite de la maison d’Édition El Perro y La Rana depuis qu’elle existe ?
Ce qui est le plus important pour nous, c’est que nous soyons devenus un exemple d’inclusion puisqu’on arrive à publier de nouveaux auteurs en garantissant l’accès au livre, qui est devenu un bien culturel auquel la majorité de la population doit avoir accès. La Fondation Editoriale et Scolaire El perro y la rana est une maison d’édition peu commune et extraordinaire et avec le projet de transformation sociale qui a lieu au Venezuela nous agissons contre le statu quo néolibéral.
Elle est originale car pour faire face à la monopolisation transnationale du livre et de la communication, il existe véritablement très peu de maisons d’édition publiques de ce type dans le monde, qui sont susceptibles de publier autant d’auteurs à des prix aussi bas, ce qui donne la possibilité d’accéder à une multitude de genres littéraires.
Et extraordinaire, parce qu’on est arrivé à balayer l’idée mensongère qui veut que le livre soit exclusivement le témoignage d’un quelconque privilège symbolique et on a réussi à élever les notions de lecture et d’édition au rang de droit, aussi bien pour les écrivains que pour les lecteurs.
Après 11 années de dur labeur, de publications éditoriales, de distribution et de soutien apporté aux écrivains du pays, quel état des lieux tirez-vous ?
On est arrivé à publier plus de 4500 ouvrages en incluant dans le catalogue des centaines de nouveaux auteurs qui n’avaient auparavant pas la possibilité d’être publiés, plus de 20 millions d’exemplaires ont été disséminés dans tout le pays et les gens téléchargent quotidiennement des centaines de livres en version digitale à partir de la « Bibliothèque la plus légère du monde » disponible sur la page internet suivante : elperroylarana.gob.org .
La fondation Editoriale El perro y la rana offre un programme de formation dénommé l’Ecole Editoriale. Qu’est-ce qu’apporte ce type d’espace aux individus mais aussi aux institutions ?
Le travail en équipe, l’engagement collectif, l’innovation constante et les innombrables contenus et formats proposés ont motivé beaucoup de jeunes et avec El perro y la rana nous avons réussi à valoriser le travail éditorial en les invitant à poursuivre cette initiation dans nos locaux.
On y a formé une génération d’éditeurs, de designers et de correcteurs professionnels qui transmettent les savoirs acquis par le biais de la praxis à d’autres maisons d’éditions ou en construisant leurs propres projets.
A l’heure actuelle, nous mettons en place des ateliers d’édition et d’écriture au niveau national et dans toutes les communautés, on souhaite leur donner les moyens et les outils pour qu’elles puissent arriver à éditer leurs propres histoires. Dans ce sens, on propose des ateliers destinés à améliorer l’échange et le partage de savoirs entre les travailleurs du monde éditorial et on est en passe de célébrer la 1ère promotion de Diplômé en Edition et Promotion du Livre et de la Lecture que nous avons mise en place en partenariat avec l’Université Expérimentale des Arts (UNEARTE).
Qu’est-ce que le Système Editorial Régional (SER) et quel est l’impact des conseils éditoriaux populaires dans les 24 états du pays ?
Au départ, le Système d’Édition Régional s’est tourné vers la décentralisation du travail éditorial en dotant chaque Etat et/ou Région d’outils et de moyens pour qu’ils puissent élaborer leur propre catalogue de publications au-delà des aspects plus techniques grâce à de petits circuits d’impression. Le plus important, c’est que chaque conseil éditorial régional puisse déterminer sa propre politique de publication en accord avec les nécessités géo-humaines de la région.
Son fonctionnement est relatif à chaque région car chacune d’entre elles possède évidemment ses propres caractéristiques et dispose de son propre rythme de publications et d’activités axées autour de la promotion du livre et de la lecture.
Comment l’édition a-t-elle réussi à maintenir sa capacité de production au milieu des difficultés économiques qu’affronte le Venezuela actuellement ?
A l’heure actuelle, la crise que traverse le Venezuela affecte le secteur éditorial et les designers graphiques, les impressions ont diminué considérablement ce qui n’a pas nécessairement eu d’impact sur la capacité de production de l’éditoriale. Bien que le livre au format digital n’entre pas en compétition avec celui qui reste malgré tout imprimé, il est certain qu’aujourd’hui les gens ont tendance à privilégier ce type de format et c’est d’ailleurs ce qui nous a amené à transformer cette crise en une opportunité pour explorer le potentiel de l’espace virtuel, d’où la « Bibliothèque la plus légère du monde » qui propose sur le portail web de El perro y la rana plus de cent titres disponibles en téléchargement gratuit. A côté de ça, on fait beaucoup d’efforts pour soutenir tous les secteurs affectés par la crise des matières premières tels que l’encre ou le papier et pour arriver à proposer des solutions à moyen et long terme qui permettent de garantir la production nationale de matériaux et une importation suffisamment en adéquation avec la demande. En définitive, nous continuons de travailler, ici personne n’arrête et ne s’avoue vaincu.
Quelles sont les nouveautés et les activités proposées par El Perro y la Rana pour cette 13e Foire Internationale du Livre du Venezuela ?
La Foire du livre est quasiment devenue un rituel collectif. Toutes les années, des milliers de personnes se rendent à la Féria et pas seulement pour acheter des livres mais aussi pour assister à des ateliers, à des présentations de livres, à des activités infantiles, des concerts et à des œuvres de théâtre. C’est un espace qui a permis d’assumer pleinement le droit à la lecture et qui est défendu par la majorité des participants quelle que soit la couleur politique, c’est tout simplement une opportunité pour profiter de l’espace public en paix, où prime la réconciliation et l’union.
La Filven est un espace qui permet d’entre apercevoir le meilleur des vénézuéliens, c’est un moment vraiment magnifique où tout le monde participe, libraires, lecteurs, familles avec enfants, auteurs, artistes, citoyens en général. C’est pour cela que toutes les années on se prépare avec enthousiasme pour être à la hauteur de l’événement.
Pour l’occasion, 34 nouveautés éditoriales seront présentées et elles sont toutes excellentes, quelques-unes imprimées et d’autres au format digital. Il y a de jeunes auteurs que je recommande d’ailleurs comme Indira Carpio Oliva avec son Mujericolas ou José Negrón avec Reyes y dinausorios. Je suis certaine que ces deux livres feront beaucoup parler d’eux et ne passeront pas inaperçus.
Nous publions aussi Leer en el caos de l’écrivain Alberto Rodriguez Carruci auquel nous avons rendu hommage. Il s’agit d’un texte fondamental pour comprendre l’ensemble des relations historiques sur lesquelles se fondent notre identité métisse, depuis le mythe d’Amalivaca en passant par les notes de voyage de Colomb jusqu’à la pensée de Mario Briceño Iragorry.
De plus, on organise aussi un forum sur les 100 ans de la révolution russe, cinq jeunes intellectuels proposent d’appréhender par exemple les contradictions qu’entraîne la réification de cette dernière dans l’Amérique Latine contemporaine. Un des principaux livres qui est présent dans le catalogue cette année est Memorias del Congreso Cultural de Cabimas, c’est un recueil de témoignages, d’actes civils, d’interviews, d’articles de presse, de documents en somme particulièrement importants qui font honneur à ce magnifique congrès où se sont réunis plus de 1000 personnes dans cette petite ville pétrolière vénézuélienne afin de réfléchir à une véritable décolonisation du Venezuela. Cet intense moment de réflexion a permis d’être à la hauteur de la dette historique qui continue de marquer notre mémoire et notre identité. Enfin, avec le soutien de toute l’artillerie de notre maison d’édition nous allons « lire ce que nous sommes ».
Source: www.vtactual.com
Traduction Thibaut Rouchon