Une émancipation qui ne veut plus signer de son nom
Géraldine Constant & Bruno Pédurand,
Coordonnateurs de la recherche, CCA (Campus Caribéen des Arts)
Fort-de-France, Février 2018
De l’incomplétude à l’altération, la mémoire de l’Humanité a une histoire. Non loin d’elle, la culture, sédimentée, demeure encore aujourd’hui, dans les reliefs de la pensée universelle, imprégnée par la fabrique idéologique des races, invocation incessante de la colonisation. Au plus près du champ social, le système de représentations et de valeurs s’érige dans l’attention de l’environnement sensible en termes d’images, de poétique, d’inconscient, de symboliques, d’imaginal et de signifiances.
Les formes d’expression de la création artistique contemporaine aux Antilles françaises en viennent structuralement à déduire la condition d’une possibilité autre que celle de créer « en pays dominés. ». Au milieu de toutes ces défaillances éthiques, l’artiste plasticien antillais, martiniquais ou guadeloupéen, porte le récit d’une identité et d’un langage qui a dépassé la parole d’un sujet singulier afin d’énoncer le discours exigible et esthétisé d’une communauté. L’art contemporain en soi est une forme de décolonisation. Le principe de la tabula rasa véritable moteur des avant-gardes de la modernité occidentale, est ontologique à la constitution même des sociétés antillaises. Si la naissance de l’acte artistique s’inscrit dans une histoire de l’art, elle-même prise dans le flux de la grande histoire, aux Antilles françaises, le schéma diffère quelque peu. Il est par définition assigné à résidence par l’histoire coloniale, l’inscrivant de fait dans une logique de centres et de périphéries…
Tel est ce qu’il en coûte à chacun d’être traversé par les pratiques visuelles décoloniales : se constituer comme sujet potentiel capable de créer et de partager de nouveaux savoirs et pouvoirs. l’artiste présente la chronique des résistances, les voilà en train de déléguer à la création artistique le soin d’habiller une émancipation qui ne veut plus signer de son nom… Le trouble artistique se mue en un engagement collectif. Une tendance idéelle à exposer aux regards une altérité parmi d’autres. L’art contemporain en soi, aux Antilles françaises serait-ce, faire affleurer un remède au désordre colonial ?