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Catégorie : Créer, se montrer. Numéro spécial.

Rise of the titans : une performance décoloniale

Rise of the titans : une performance décoloniale


Henri Tauliaut

Artiste/doctorant en esthétique

Février 2018


 

Annabel[1] est chorégraphe et danseuse-performeuse. Quant à moi, je suis plasticien et me définis comme bio-artiste et techno-chamane [2].

Notre duo performatif réalise des actions dans des espaces naturels ou urbains à forte charge historique ou symbolique. En exposant nos corps en tant que “corps fusion”, nous questionnons le couple. Nous décryptons et critiquons les formes de domination au sein du couple et de la société antillaise. Nous revisitons également les champs politiques et culturels caribéens pour poser un regard critique et lucide sur une société insulaire néo-apartheid (dite créole) ici en Martinique.  Nous avons créé quatre mondes artistiques : les mondes Aqua, Iguana, Afro-Punk et Techno-Chamane[3].

Lorsque nous réalisons la performance The Rise of the Titans dans la ville d’extrême gauche du Prêcheur[4] en Martinique, le 22 mai 2016 (qui est le jour de la commémoration de l’abolition de l’esclavage), quelques instants avant l’arrivée du drapeau indépendantiste noir rouge et vert, nous sommes dans un lieu symboliquement fort à un moment clef. Pour le bon déroulement de la performance dont la seconde partie était participative, nous avons donné un rôle à certains spectateurs. Il y avait :

 

  • un porteur de notre grand étendard ayant pour effigie nos deux profils en vis à vis sur fond bleu nuit.

  • des porteurs(euses) de petits drapeaux aussi divers que des drapeaux békés[5] (avec des serpents blancs sur fond bleu), des drapeaux indépendantistes (déjà décrits), ou encore des drapeaux étasuniens. On notera au passage quenous avons volontairement omis le drapeau français, clin d’œil au fait de ne posséder ni territoire, ni nation, ni drapeau martiniquais.

  • des purificatrices de l’espace (du dit rituel) avec des fioles magico-religieuses (Camino Abierto, Retour de l’amour etc.)

  • des déchireurs ou déchireuses et brûleurs du Code Noir[6];
  • des lectrices de poésies de Monchoachi[7].

Toutes ces actions se dessinaient dans un pentagramme.

Comme dans notre monde Techno-Chamane, The Rise of the Titans, Annabel Guérédrat et moi cherchons à porter remède, à susciter une conscience collective, un corps collectif à travers des rituels de décolonisation, d’affranchissement de formes de domination et de reconquête de nos imaginaires et mythes caribéens.

 


 

[1] Annabel Gueredrat (1974) Chorégraphe et performeuse française  née en Nouvelle Calédonie. Fondatrice de la compagnie Artincidence qui présente essentiellement des performances, in situ ou entièrement écrites pour le plateau. Les performances créées sont engagées, traitant de figures de femmes, de la Venus Noire à la poétesse Audre Lorde, en passant par Valeska Gert. Co-directrice du Festival International d’Art Performance qui s’est déroulé en 2017 en Martinique

[2] Henri Tauliaut (1966) plasticien français né en Guadeloupe. Enseignant au Campus Caribéen des Arts, vit et travail en Martinique. Il se définit comme un artiste du Bio-Art et des Arts Numériques. Depuis les années 2000, il développe une démarche autour du vivant et de l’artificiel. En 2015 il représente la Guadeloupe à la XII Biennal de la Havane. Co-directeur du Festival International d’Arts Performance qui s’est déroulé en 2017 en Martinique.

[3] Les mondes Aqua, Iguana, Afro-Punk et Techno-Chamane:  Pour des informations sur les artistes  et leurs mondes voir sites et http://artincidence.fr/

[4]  La commune du Prêcheur est située au nord de Saint Pierre sur la côte Caraïbe au pied de la Montagne Pelée. Le Prêcheur compte 1 677 habitants appelés les Préchotins et s’étend sur 29,9 km². Le drapeau rouge, vert et noir est revendiqué par différents groupes et partis indépendantistes martiniquais et figure sur le fronton de la mairie du Prêcheur dont le maire Marcelin Nadeau, est affilié au Modemas.

[5] Békés : Aux Antilles Françaises, un Béké est un habitant créole à la peau blanche de la Martinique et de la Guadeloupe, descendant des premiers colons européens. Ce terme est généralement associé à la puissance économique dont ce groupe est dépositaire. Les Békés constituent un peu moins d’un pour cent de la population martiniquaise, soit 3 000 personnes environ. Le terme « béké » est parfois également employé comme adjectif.

[6] Code Noir : Louis XIV signe à Versailles en mars 1685 un édit qui, en un préambule et soixante articles, règle dans les possessions françaises d’outre-Atlantique « l’état et la qualité des esclaves » en les qualifiant de bêtes de somme ou de purs objets. C’est le Code noir, préparé par Colbert, qui sera définitivement abrogé lors de l’abolition de l’esclavage par la France, à la traîne d’autres nations, en 1848.

[7] Monchoachi pseudonyme de André Pierre-Louis, né en 1946 à Saint-Esprit en Martinique est un écrivain français. En 2003, il obtient le Prix Carbet de la Caraïbe et le Prix Max-Jacob pour son œuvre « L’Espère-geste ».